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vendredi 27 mai 2011

Les "féministes" contre DSK : infortunes de la fausse vertu


« Nous ne savons évidemment pas ce qui s’est passé dans la suite 2806 du Sofitel de Manhattan ». Telle est probablement l’une des phrases les plus écrites et les plus lues dans la presse depuis le dimanche 14 mai 2011. D’abord mise à toutes les sauces par les amis et défenseurs de Dominique Strauss-Kahn désireux de marquer ainsi leur attachement à la présomption d’innocence, elle est désormais abondamment recyclée par des « féministes » qui n’hésitent pas à témoigner ainsi de leur appétence pour la présomption de culpabilité.

Selon un certain nombre d’entre elles, l’affaire DSK aurait en effet donné lieu à une orgie de propos inqualifiables prononcés par des phallocrates impénitents, nostalgiques du droit de cuissage et de la barbarie d’ancien régime. Un nouvel avatar de la « France moisie » se révèlerait à nous, sous les traits d’une « France sexiste », dont le caractère éminemment réactionnaire serait d’ailleurs révélé par un antiaméricanisme d’un nouveau genre consistant en une critique implacable des méthodes de la justice et de la presse étasuniennes. Comble du paradoxe, le chef de file de ce néo-patriarcat américanophobe serait Bernard-Henri Lévy, ayant du même coup révélé son vrai visage, celui d’un abominable macho, et retrouvé le sens d’un mot suspect : la « nation ». Ne décrivait-il pas DSK comme l’homme ayant essayé de « mettre en œuvre des règles plus favorables aux nations prolétaires » ?

Bernard-Henri Lévy, donc. Mais pour qu’il y ait « déferlement » de paroles misogynes, encore faut-il lui adjoindre quelques soutiens. Sont donc cités en boucle le « meurtre médiatique » de Robert Badinter, le fameux « il n’y a pas mort d’homme » de Jack Lang, et l’inénarrable « troussage de domestique » de Jean-François Kahn. Voilà pour le déferlement. Et peu importe que l’un d’entre eux se soit auto-condamné durement puis excusé : coupable un jour, coupable toujours.

Les « féministes » françaises viennent donc de s’éveiller avec horreur dans un monde atrocement inégalitaire où les femmes vivent murées dans un silence de plomb: « en France, la présumée victime n’aurait pas osé porter plainte », nous explique-t-on très assuré. A l’inverse, les hommes, notamment les caciques de l’élite politico-médiatique, pourraient se permettre tous les écarts de langage sans être jamais inquiétés. Ainsi l’humanité se diviserait-elle en deux camps irréductibles : les femmes, toujours victimes, les hommes, souvent suspects.

Il est possible que les phrases malheureuses énumérées ci-dessus soient en effet teintées d’un vieux fond d’empathie  masculine. Il est possible aussi qu’elles soient le reflet d’une solidarité de gens bien nés, dont témoigneraient quelques puissants au détriment d’une femme de ménage. Cette seconde explication est sans doute bien plus intéressante, mais aussi moins souvent évoquée. On a tellement pris l’habitude de raisonner en termes de conflits intercommunautaires que l’on oublie systématiquement la rémanence de la lutte des classes. Ainsi, à Christophe Guilluy qui déplorait « les individus ne sont plus prioritairement définis par leur position sociale mais d’abord par une origine ethnoculturelle » [1], on pourrait répondre que dans le cas présent « les individus ne sont plus prioritairement considérés en fonction de leur classe sociale, mais de leur appartenance sexuelle ».

Mille autres explications peuvent encore venir contredire la thèse du sexisme exclusif et généralisé. Le déni amical, ainsi exprimé dans Le Monde par Jean-François Kahn : « une amitié de quarante ans avec Anne Sinclair agissait en moi comme un refus d’admettre l’intolérable violence d’un viol ». Le déni « patriotique » de ces Français si nombreux à croire encore au complot tant leur paraît insupportable l’idée que l’homme qu’ils envisageaient de se donner comme président ait pu commettre l’irréparable. Le déni, enfin, qui nous rend si intolérable l’idée d’appartenir, avec l’auteur présumé d’un crime, à une commune humanité. Car si celui-ci a pu trébucher de la sorte, alors, demain, pourquoi pas nous ? Et de quelles horreurs devons nous craindre, à notre tour, d’être capables ?

Ces bribes éparses d’explications ne plaident guère, en tout cas, pour l’hypothèse du sexisme, de l’indifférence pour la délinquance sexuelle, et de la nostalgie d’un « absolutisme suranné considérant le viol comme un droit régalien » [2]. Au contraire, c’est l’effroi qu’inspire ce crime plus que tout autre qui conduit à refuser d’admettre qu’ait pu le commettre l’un de nos amis, ou l’un de nos leaders.

Cet effroi, assez généralement partagé par les hommes et par les femmes de ce pays, des féministes autoproclamées ont voulu se l’approprier, bien vite rejointes par quelques communautaristes grimés en antiracistes, flairant l’aubaine que constitue la négritude de la présumée victime. Un comité de soutien à Nafissatou Diallo a ainsi vu le jour sous la houlette de l’historien Claude Ribbe, obsessionnel de l’esclavage et pourfendeur tendance « afrocentriste » du crime de Napoléon [3]. Dans un invraisemblable communiqué, ce comité dénonce tout à la fois « le racisme, le sexisme, et l’islamophobie ». Pas moins. Ainsi, en lieu et place de ce que l’on a parfois appelé la « concurrence victimaire », voici venu le temps du « mille feuille victimaire », où toutes les minorités et autres stigmatisés du monde viennent proposer leur indignation particulière et chercher matière à régler leurs comptes.

Au final, on voit bien quels sont les ressorts de l’élan de solidarité féministe dont a soudain fait l’objet la présumée victime quelques jours après qu’on s’est lassé de parler du présumé bourreau. Alors qu’elle a choisi l’absolue discrétion, de bonnes âmes brandissent son nom sur des pancartes. Alors qu’on prétend vouloir rompre le silence qui l’entoure, on ne parle jamais d’elle, mais ce qu’elle représente, elle qui est à la fois femme, pauvre et noire. Et voici qu’elle disparaît à nouveau des écrans radars, troquant malgré elle son statut d’individu contre celui de symbole.

Hier, on affichait les images d’un Dominique Strauss-Kahn menotté entre deux US-cops, blême, détruit. Il n’était plus un homme, et même plus un coupable. Il était un trophée. Aujourd’hui, on chante sur tous les tons le nom « d’Ophélia », qui n’est même pas le sien. Elle n’est plus une femme, et même plus une victime. Elle est un prétexte.


[1] Christophe Guilluy, Fractures françaises, François Bourin Editeur, 2010.
[2] Cécile Alduy, Pour en finir avec le sexisme, Le Monde du 27 mai
[3] Le crime de Napoléon est un ouvrage très contesté de Claude Ribbe reprochant à Napoléon d’avoir rétabli l’esclavage en utilisant une législation comparée aux lois de Nuremberg. Selon Ribbe, Napoléon aurait également favorisé des gazages d’afrodescendants sur des bases ethniques.


mercredi 18 mai 2011

Affaire DSK : ne perdons pas la bataille de la morale !


Dans l’affaire DSK, le temps est maintenant venu de parler de la victime. Les associations féministes ont donné le coup d’envoi de cette nouvelle séquence tant il est vrai que la femme de chambre de l’hôtel new-yorkais a été peu évoquée jusque là. Pour « Osez le féminisme », il est grand temps de réparer cette erreur. « Il est très peu fait état de la présumée victime dans les différents sujets », tonne l’association. Que l’attention se soit d’abord focalisée sur DSK parce qu’il est à la fois directeur du FMI, ancien candidat favori des sondages à la primaire socialiste et surtout citoyen français semble ne pas être une raison suffisante. Et que la victime présumée paraisse avoir fait le choix de la plus grande discrétion possible semble n’avoir guère d’importance. Par souci d’équité paritaire, il convient de parler d’elle.

On a également pris soin de recueillir en urgence l’avis de quelques femmes politiques : c’est bien connu, en matière de viol, seules les femmes ont un avis. Exit l’idée que les hommes soient eux aussi capables d’humanité, donc de compassion. Exit aussi la honte éventuelle qu’éprouvent certains d’entre eux face au crime sexuel, honte collective que chacun assume nécessairement un peu en tant que représentant de la « gent masculine ». Ainsi, si les hommes publics sont habilités à parler autant qu’ils veulent de Dominique Strauss-Kahn, c’est aux femmes politiques que revient la charge de parler de (et pour) la victime. Ceci donne parfois lieu à des considérations de très haute volée comme ce rappel de Valérie Pécresse « si les faits sont avérés, la vraie victime est la jeune femme ». Comme si quelqu’un en avait douté…

Si l’on a peu parlé de la victime jusqu’alors c’est peut-être qu’on était occupé à parler d’autre chose. Depuis deux jours en effet, les commentaires vont bon train sur le principe de la présomption d’innocence, et sur le non-respect d’icelle qu’induit la divulgation de quantité de photos d’un Strauss-Kahn dévasté. La question méritait en effet d’être posée, tant certaines photos sont accusatrices en elles-mêmes, même exemptes de commentaires.

On aura beau conspuer les showmen de la police new-yorkaise, et cette mise en scène volontairement tapageuse d’un DSK menotté, on pourra vilipender le caractère implacable de la justice américaine, il demeure que c’est dans la presse française que ces images tournent à présent en boucle. Rien n’y fait, ni le rappel à l’ordre du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), ni la violation flagrante des dispositions de notre droit. Car l’article 35 ter de la loi du 29 juillet 1881 relatif à la liberté de la presse est clair. Il punit d’une amende lourde : « la diffusion (…) de l’image d’une personne identifiée ou identifiable mise en cause à l’occasion d’une procédure pénale mais n’ayant pas fait l’objet d’un jugement de condamnation et faisant apparaître soit que cette personne porte des menottes ou entraves, soit qu’elle est placée en détention provisoire ».

On ne reviendra donc pas sur les images de Dominique Strauss-Kahn have et abattu face au juge Melissa Jackson. Elles ont été largement commentées. On peut après tout considérer que la surmédiatisation de ce sinistre moment est une sorte de « rançon du succès », le prix à payer pour la surmédiatisation antérieure d’un homme à qui tout souriait, et auquel on promettait un avenir doré.  

On passera aussi sur la dramatisation teintée de sadisme qu’impliquent les descriptions apocalyptiques et les images de la prison de Rickers Island, « la pire des prisons américaines ». De même, on feindra d’ignorer les considérations émises par une batterie de psychiatres, psychanalystes et autres « experts » autour du thème « être un séducteur, est-ce pareil qu’être un violeur ? ». Après tout, il faut bien occuper le terrain jusqu’à vendredi, date à laquelle se réunira le fameux « Grand jury ».

En revanche, il est une chose sur laquelle il devient franchement délicat de passer. Difficile, en effet, de jouer l’indifférent alors que commencent à être publiés un peu partout des extraits de l’acte d’accusation qui incrimine Dominique Strauss-Kahn, avec un degré de détail qui va de l’allusion pseudo pudique au déballage façon « et si on se disait tout ? ». Car certains journaux manifestement déterminés à transformer leur lectorat en une bande de voyeurs pervers ne nous épargnent rien. Celui qui ignorait ce que recouvre la notion américaine « d’acte sexuel criminel » se trouve bien vite déniaisé.

Face à cet étalage de détails crus, on oscille entre l'écœurement scandalisé et le plaisir sadique, sentiments apparemment paradoxaux mais cependant bien assortis, comme le savent sans doute les amateurs de tabloïds, et comme on aurait largement préféré l’ignorer. C’est alors que l’on repense à deux choses. A la présomption d’innocence, une nouvelle fois bafouée, et de quelle façon ! Et à la présumée victime, puisqu’il convient à présent d’en parler. Alors, on se demande s’il est désormais possible de lui faire endurer pire que cette minutieuse description de son clavaire, si tant est qu’il ait eu lieu. C’est sur cela, sans doute, que devraient à présent se pencher les associations féministes.

Nicolas Sarkozy a déclaré que la gauche avait perdu la bataille de la morale. Cela n’est bien évidemment pas vrai. D’abord parce qu’à ce stade nous ne connaissons pas la vérité, ensuite parce que l’acte d’un homme isolé ne saurait discréditer tout un courant politique.

En revanche, à se repaître ainsi de cette affaire comme on se repaissait jadis des jeux du cirque, c'est nous, collectivement, les exhibeurs comme les voyeurs, qui sommes en train de la perdre, cette bataille. 

mercredi 11 mai 2011

Révolutions arabes : pour Todd, "Allah n'y est pour rien" !


On finira bel et bien par assimiler Emmanuel Todd à un « prophète », lui qui vient de proposer de congédier Allah. N’est-ce pas lui qui pronostiqua, bien avant qu’elle n’advienne, la chute de l’Union soviétique[1] ? N’est-ce pas lui qui annonça, dès 2006 le déclin de la puissance américaine[2] ? Quant à l’évolution actuelle du monde arabe, force est de constater qu’elle accrédite avec force les hypothèses avancées en 2007 dans Le rendez-vous des civilisations[3].

Dans son dernier ouvrage, Allah n’y est pour rien (arretsurimages.net, avril 2011), Todd revient avec brio sur son interprétation démographique des évènements à l’œuvre au Moyen-Orient. Dans ce petit livre d’une centaine de pages tiré d’une émission télévisée, le politologue explique comment l’entrée dans la modernité des pays arabes était, pour lui, éminemment prévisible.

Élargissant ensuite l’application de sa méthode prédictive à de nombreux autres pays, il nous donne à penser le monde d’hier et de demain, et nous invite à une relecture des histoires de la France, de l’Allemagne, de la Chine, de la Russie ou de l’Iran.

Concernant le monde arabe, Emmanuel Todd considère qu’Allah doit plaider « non coupable ». Pour lui les actuelles secousses y sont absolument profanes, leurs causes étant essentiellement d’ordre démographique et anthropologique.


L’explication par l’anthropologie et la démographie

Selon Todd, plusieurs axes d’analyse s’imposent. Il pointe un premier facteur propre à induire de surprenants changements de paradigme : le taux d’alphabétisation. « Quand on sait lire et écrire, on peut lire un tract. On peut même en écrire un », s’amuse-t-il. Tout en rappelant que la Révolution française s’est produite quand 50% des hommes du Bassin parisien ont su écrire, il met l’accent sur l’excellent taux d’alphabétisation d’un pays comme la Tunisie.

Le second facteur, quant à lui, consiste en la baisse de fécondité, qui correspond également à une montée de l’alphabétisation des femmes. Tout comme l’alphabétisation des fils distend les liens avec les pères analphabètes et dilue le rapport à l’autorité, la chute du taux de fécondité signe une tendance à l’émancipation des femmes, et une modification de la nature des rapports hommes/femmes.

Le troisième facteur est anthropologique et permet d’interpréter les structures familiales. Celles-ci sont essentiellement patrilinéaires et relativement endogames dans le monde arabe. Toutefois, la progressive perte d’intérêt pour le mariage endogame se révèle un autre facteur puissant de modernisation. Initialement surpris que l’incendie se propage de la Tunisie à l'Égypte moins alphabétisé et à la fécondité demeurée élevée, le démographe fait par la suite le constat suivant : sur le plan des habitus matrimoniaux, l'Égypte n’est pas un pays arabe comme les autres. En effet, le taux d’endogamie y est passé de 25% à 15% en vingt ans. La société Égyptienne a donc subi une transformation très profonde.

Taux d’alphabétisation, de fécondité, d’unions endogames, structure familiales, tels sont les éléments qui, selon Emmanuel Todd, ont déjà fait basculer deux pays arabes, et en secouent beaucoup d’autres. Quant à Allah, il n’en n’est pas question ici. Si l’on a beaucoup dit après la mort d’Oussama Ben Laden, que les révolutions arabes l’avait tué avant les américains, la grille de lecture démographique autorise une autre lecture : l’islam fanatique de Ben Laden et de ses sicaires était l’expression d’une profonde « crise de transition » dans une région du monde en proie à une tectonique des plaques bien antérieure au 11 septembre 2001. Une « crise de transition » comme il y en eut d’autres auparavant, et comme nous serons probablement amenés à en voir à nouveau.


Violences post-révolutionnaires : une constante partout dans le monde

Le nazisme selon Todd ? Une crise de transition particulièrement violente, dans un pays, l’Allemagne, ou régnait un système de familial de type « souche inégalitaire », qui conditionne tout entier une conception non-universaliste du monde. Cela s’est conclu de manière sanglante pendant la Seconde guerre mondiale, et se poursuit aujourd’hui sous une forme considérablement pacifiée. Les structures familiales allemandes seraient, selon Todd, l’explication ultime de l’égoïsme de ce pays, et de sa piètre aptitude à la solidarité européenne.

Le communisme, selon Todd ? La crise de transition de pays possédant des structures familiales autoritaires et égalitaires, mais qui ne doit en aucun cas nous dissuader de croire en la vocation démocratique de la Russie, ou de la Chine.

Le khomeynisme iranien ? Sas de décompression d’un pays ayant vécu, en 1979, une révolution bien antérieure à celles de ses voisins arabes, et qui subit actuellement un spasme post-révolutionnaire naturel et temporaire Ce pays aux structures résolument modernes, maltraité pas des puissances étrangères lui ayant imposé un « effet de freinage », devrait très bientôt nous surprendre.


Quel avenir pour le monde arabe ?

Dès lors, partant tout à la fois de l’exégèse toddienne des pyramides des âges et des exemples russe, chinois, iranien, allemand, ou français, quelle issue envisager pour ces révolutions arabes qui semblent aujourd’hui marquer le pas ?

Pour le démographe, certaines sociétés arabes se sont transformées si vite que le rythme de stabilisation devrait être rapide. Face au pessimisme qui pourrait gagner l’observateur inquiet des violences interconfessionnelles en Égypte ou à la montée de la popularité du parti islamiste Ennadha en Tunisie, Todd nous renvoie aux temps longs de l’histoire et au souvenir de la Révolution française : « pour le moment, ça ne s’est pas passé trop mal en Tunisie (…) le Révolution française, vue d’aujourd’hui, est merveilleuse, mais si l’on additionne les massacres de Vendée et les guerres révolutionnaires, on arrive de tout de même à un million de morts ».

L’optimisme est moindre dès que l’on aborde le cas libyen, même si l’accroissement de l’alphabétisation et la baisse de la fécondité y ont débuté de manière encourageante. Pour notre auteur, la cause en est simple : la Libye est un pays de rente pétrolière. Dès lors, l’Etat central y est peu dépendant de l’impôt, donc de sa propre population, et peut s’offrir des mercenaires constituant un système répressif totalement désolidarisé du peuple.

Quoiqu’il en soit, de l’ensemble de ces convulsions révolutionnaire, Emmanuel Todd retient cet élément essentiel : l’islam est un facteur secondaire, voire négligeable. C’était déjà ce qu’il souhaitait montrer dans Le rendez-vous des civilisations, ouvrage répondant sans appel à la théorie bien connue du « choc des civilisations ». Mais, à vouloir absolument contredire Huntington, à supposer un rendez-vous, une convergence démocratique inexorable de toutes les Nations, n’en vient-on pas à accréditer malgré soi l’irénisme sans anicroches d’un Fukuyama et de la « Fin de l’histoire » ?


[1] La chute finale. Essai sur la décomposition de la sphère soviétique.
[2] Après l’empire. Essai sur la décomposition du système américain.
[3] Emmanuel Todd – Youssef Courbage, Le rendez-vous des civilisations.  

vendredi 6 mai 2011

Ringardisez-moi !



Les néo-réacs…tout le monde ces derniers temps ne parle que d’iceux. Ils ont eu droit à un dossier dans l'Obs, et à une pleine page dans Le Monde. Même la presse féminine s’engouffre dans la brèche. Le magasine Elle, par exemple, propose un test réservé aux femmes : « quelle néo-réac êtes vous » ? Cela me semblait tomber plutôt bien, étant donné que le microcosme néo-réac ne compte quasiment que des « mâles blancs ». Je pensais donc que la réalisation de ce rapide quizz conjuguée à l’application stricte d’un cœfficient pondérateur de parité (CPP) me placerait d’emblée dans la catégorie des « rétro-réacs ». Las, j’ai eu beau dévoiler que je préférais la blanquette de veau à la quiche au soja bio, je demeure reléguée dans la catégorie « bobo-réac », ce qui est toujours mieux que « réac mais pas trop », mais néanmoins en deçà d’« archéo-réac ».

Toujours côté presse féminine, c'est désormais le magazine Grazia s’y est mis. Grazia, c’est le magazine « de la mode, de la beauté, des people et du luxe », absolument indispensable pour découvrir sans plus tarder « comment porter le bermuda ». Il vous décille enfin sur le pedigree de Catherine Middelton [1], « cette roturière pas comme les autres » et vous immunise…contre les néo-réacs. Mais, même à bien feuilleter Grazia, je ne vois pas mon nom dans la liste.

Pourtant, elle est à géométrie variable, la liste. Certes, il y a quelques piliers, des indéboulonnables, des permanents. Ce sont les néo-réacs « du socle », qui caracolent toujours en tête de la black list [2]. Evidemment, je ne prétends aucunement me hisser à leur niveau. Ils sont hyper entraînés : ce sont des coureurs de fond. Ils ont percé à jour « la gabegie des accords de Schengen », pourfendent les errements orwelliens de la « modernité hyperfestive » et s’accordent à vilipender tout à la fois « les impérities de la droite mainstream » et la « mièvrerie compassionnelle de la gauche d’accompagnement »[3].

Modestement, j’aspire seulement à faire partie des néo-réacs conjoncturels. Je m’emploie pour cela à dévoiler avec une parcimonie perfide mais avec une constance pluriannuelle que j’aime bien Jean-Pierre Chevènement, en dépit de la pluie de quolibets que me renvoient sans ménagement les adorateurs résolument progressistes de l’hyper-décontractée Eva Joly.

Par ailleurs, je ne répugne pas à vouer régulièrement aux gémonies « Le rappel à l’ordre », ce petit livre sot et désormais presque oublié de Daniel Lindenberg, qui me semble mériter amplement une seconde jeunesse. J’en suggère donc la lecture immédiate aux chasseurs de néo-réacs. Ils y trouveront matière à allonger indéfiniment leur liste, qui pourra aller du néo-reac stricto sensu au néo-con façon Bush, en passant par le crypto-stalinien momifié : tout un panel de nouvelles perspectives !....

Par ailleurs, je me pique volontiers d’avoir lu l’œuvre complète de Philippe Muray, ce qui n’est bien évidemment pas vrai. A l’inverse, je me targue d’avoir achevé le dernier roman de cet auteur magistral qu’est Michel Houellebecq, ce qui est vrai, mais ventrebleu que j’ai peiné !

Question « presse », j'exècre Télérama et abhorre les Inrockuptibles, ces organes de presse de la boboïtude germanopratine et écolo-compabible. Je n’aime pas non plus Rue89, et ses articles dégoulinant d’un jeunisme sirupeux traitant de sujets aussi essentiels que l’épilation intégrale, avec clip à l’appui pour témoigner en images que « quand mon minou est tout doux, il aime être caressé partout ».




Par ailleurs, je signale à bon entendeur que le recours incessant au champ lexical et à l’iconographie des « heures les plus sombres de notre histoire » me met absolument hors de moi. Et si j’ai horreur de la censure et préfère naturellement la liberté d’expression et le débat d’idées, je demeure tout de même consternée que l’on puisse écrire des livres pratiquant la reductio ad hitlerum sur la personne de « Schtroumps nazis ».

Pour finir, je n’ai rien contre les catholiques à particule et je n’ai pas dit « pas étonnant » au sujet de Xavier Dupont de Ligonnès. Je ne me suis pas du tout intéressée à l’affaire des supposés quotas de la FFF, mais je suis néanmoins persuadée qu’il s’agit d’une manipulation médiacratique de l’artificieux Edwy Plenel. Je suis vigoureusement opposée à toute espèce de simplification de la langue française, surtout si elle est appuyée par des pédagogistes. J’ai voté « non » au referendum de 2005 a l’instar d'une certaine droite, ce qui me rend passible de complicité avec l’antienne populiste du « ni-droite, ni gauche ».

Pour toutes ces raisons, si quelqu’un d’entre mes chers lecteurs rencontre un jour Marine le Pen, peut-on lui dire qu’elle n’hésite pas à me donner contre mon gré et à mon insue le baiser de la mort ? Certes, elle ne sait pas qui je suis. Mais je ne suis pas convaincue qu’elle connaisse parfaitement tous ceux qu’elle adoube publiquement. A tout hasard, qu’on lui dise que je suis journaliste. Elle croit que Luc Ferry et Emmanuel Todd le sont, alors après tout, pourquoi pas moi ?


[1] A l’attention des lecteurs de Point de Vue , je précise qu’il s’agit bien évidement de son Altesse royale la princesse William Arthur Philip Louis, duchesse de Cambridge. A l’attention de ceux de Voici, je précise qu’il s’agit grave de Kate’ (LOL).
[2] Black list que je m’engage à livrer à la vindicte de la meute hurlante aussitôt qu’elle sera stabilisée.
[3] Je signale que ces citations, bien qu’elles visent à reproduire la quintessence de la doxa néo-réac, sont de moi. L’usage de mots volontairement compliqués ne vise qu’à mettre en exergue le snobisme verbeux de mon parisianisme impénitent.

jeudi 5 mai 2011

Ben Laden : avec ou sans, il faut quitter l'Afghanistan



Il y a quelques semaines de cela, l’Afghanistan était « une guerre oubliée ». C’est ce que nous expliquait Le Monde en date du 16 avril. La Libye avait pris le pas, et l’on guettait avec gourmandise un enlisement ici, sans se souvenir que nous étions depuis dix ans enlisés là bas. Le décès, dans la vallée de la Kapisa, du 56ème de nos militaires n’a d’ailleurs pas ému grand monde.

Celui d’Oussama Ben Laden[1], en revanche, a remis l’Afghanistan à la « Une » de nos journaux, qui, pour la plupart s’accordent à dire « pour l’Afghanistan, ça ne change rien ». En effet, ça ne change rien, ou pas grand-chose, sauf peut-être…l’essentiel : la disparition de l’icône jihadiste va contraindre à reformuler l’objectif recherché dans ce pays d’Asie centrale où meurent nos soldats, tandis que nos otages préfèrent quant à eux mourir au Sahel.

La guerre d’Afghanistan, déclenchée après les attentats du 11-Septembre, le fut bien, au départ, sous les auspices de la légitime défense. Il s’agissait, pour les Etats-Unis et leurs alliés de mettre à bas l’émirat taliban qui offrait gîte, couvert et camps d’entraînement aux « Arabes afghans », ces compagnons de longue date, dont certains firent leurs armes en luttant aux côtés des moudjahidines afghans contre l’occupant soviétique.

De ce point de vue, la victoire fut rapide, et c’est en Afghanistan bien plus qu’en Irak que George W. Bush aurait dû s’écrier « mission accomplie » ! Dès la fin de l’hiver 2001, le mollah Omar enfourchait son Piaggio direction le Pakistan, et Ben Laden s’évaporait aux confins des zones tribales.

Dès lors, et puisque nous étions « tous des américains » il fallut bien trouver de bonnes raisons de rester. Tandis que de grands clausewitziens nous invitaient à la patience en répétant doctement qu’il est « plus facile de commencer une guerre que de la finir », on fit pleurnicher un peu dans les chaumières sur le sort des femmes afghanes, claquemurées dans leurs prisons de tissu, sort bien plus atroce, semblait-il, que celui des femmes saoudo-yéménites. On nous expliqua également qu’il fallait démocratiser l’Afghanistan « par le haut »,  ce qui, pour d’obscures raisons, semblait bien plus urgent que de démocratiser la Corée du Nord. A ce jour, la réussite de l’entreprise est à peu près aussi convaincante que celle des impétrants qui voulurent marxiser « par la force » et sans autre forme de transition la Russie des partisans blancs. On n’alla tout de même pas jusqu’à nous faire le coup des intérêt pétroliers : c’eut été un peu gros. Mais celui de la lutte à mort du Bien contre le Mal, oui. Si nous partions, il y aurait une dictature, ce que comme chacun sait, nous n’avons jamais cautionné nulle part.

Et puis, il restait le problème taliban. Mais les plus vindicatifs d’entre eux sont certainement les talibans pakistanais du Tehrik-e-taliban-Pakistan (TTP), et non leurs homologues afghans, plus occupés désormais par des objectifs strictement nationaux que par des affaires de guerre sainte. Comme l’explique Jean-Pierre Filiu[2], « Ben Laden (cultivait) chez les talibans pakistanais la volonté d'exporter le jihad qui a largement disparu chez les talibans afghans, concentrés sur l'impératif de reconquête de leur territoire ». C’est pourquoi un ancien ministre iranien des Affaires étrangères considérait il y a peu que « la solution doit être régionale, non  militaire ». Ainsi, alors que le Pakistan utilise ses propres talibans comme une arme contre son rival indien, sans doute serait-il plus judicieux de soutenir diplomatiquement un règlement politique du différend indo-pakistanais.

Quant aux talibans afghans, il est possible qu’ils réintègrent un jour le jeu politique du pays. La volonté rémanente d’Hamid Karzaï de négocier avec eux en est un signe. Mais rien n’indique qu’ils seront à nouveau menaçants, si ce n’est pour leur propre peuple. Dès lors, comme que le propose le général Lamballe « laissons-les gouverner à leur guise. Les populations qu’ils administreront finiront bien par s’apercevoir qu’ils ne sont pas meilleurs et plus efficaces que les modérés. Ils seront probablement pires et alors, après une prise de conscience populaire, tout peut changer ». De cela, et du fait que la démocratisation arrive toujours « par le bas » nous avons la preuve quotidienne en observant les révoltes populaires qui secouent actuellement le monde arabe.

Ce sont elles, d’ailleurs, qui ont véritablement tué Al-Qaïda, tant il est vrai que face au processus de libération actuellement à l’œuvre au Maghreb comme au Machrek, l’idée de révolution islamique à la sauce Ben Laden paraissait déjà has been.

La nébuleuse à présent privée de son chef, les différentes franchises telles AQMI continueront sans doute à s’agiter ça et là de manière autonome et erratique. Mais dans ce cas là, d’ores et déjà, c’est vers le nord de l’Afrique qu’il faut porter le regard et l’effort.


[1] Que nous décidons de considérer comme vraie, photo insoutenable à l’appui ou pas, mus que nous sommes par cet optimisme quasi juvénile que provoque inexorablement l’éclosion du printemps.
[2] Auteur des Neuf vies d’Al-Qaida, Fayard, 2009.


dimanche 1 mai 2011

Front national, le nouveau parti de la liberté ?



Aux Pays-Bas, il existe un parti populiste de droite, dont le leader est un quarantenaire très blond, dynamique, et résolument moderne. Ce parti s’appelle le « Partij voor de Vrijheid », soit en français « Parti pour la liberté ». En France, il existe un parti populiste de droite, dont la leader est une quarantenaire très blonde, dynamique, et résolument moderne. Ce parti s’appelle le Front national.

Des différences, il y en a pas mal. Le PVV se caractérise essentiellement par son discours anti-musulmans, et Girt Wilders s’est surtout rendu célèbre en réclamant l’interdiction du Coran et en réalisant le documentaire islamophobe Fitna. Rien de commun, a priori, avec le discours prononcé ce 1er mai par Marine le Pen place des Pyramides, qui eût pu prétendre à un brevet de républicanisme mention « assez bien », s’il n’eût été émaillé de quelques saillies anti-immigration propres à réveiller un public manifestement plus enclin à scander le nom de « Jean-Marie » qu’à s’enthousiasmer pour la sortie de l’Euro ou à conspuer le libre échange.

Des points de communs, il y en a aussi. Et depuis ce dimanche, l’exaltation de la « liberté » en fait partie. Les badauds croisant le défilé du « Front » ont dû être quelque peu surpris en voyant s’étaler partout ces drapeaux bleu et blanc estampillés « liberté » qui, presque plus nombreux que les étendards tricolores et les bannières régionalistes, donnaient l’impression de se trouver au cœur d’une manifestation de partisans de l’Union des familles laïques ayant forcé sur les psylocibes.




Par la suite, la « liberté » a émaillé l’ensemble du discours d’une Marine le Pen apparemment désolée qu’il lui faille commémorer Jeanne d’Arc quand elle eût préféré célébrer Spartacus, plus illustratif en effet de l’exhortation au « peuple de France » à « se défaire des chaînes qui l’entravent ».

Il est vrai que la liberté, c’est consensuel. Ca fait bien moins peur que l’égalité, et ça ratisse plus large que la fraternité. Et puis, ça s’adapte à peu près à tout. Ca permet de célébrer tout à la fois « l’indépendante détermination du général de Gaulle », d’exalter « la souveraineté, c'est-à-dire notre liberté collective », et de vouer aux gémonies la libre circulation des personnes et l’immigration, « cet esclavage des temps modernes, (qui autorise) le transfert de populations d’un continent à l’autre, constituant ainsi l’armée de réserve du capitalisme qui permet aux grands patrons d’exploiter les travailleurs français ».

Ca permet également de se muer en égérie d’une « liberté de la presse (qui) doit être rétablie », parce qu’il y en a vraiment marre du « maccarthysme », du règne sans partage du « Big Brother d’Orwell » et de la prolifération de tous ces « petits Torquemada des temps modernes » qui empêchent nos journaux de diffuser des sondages plaçant Marine le Pen en tête du premier tour à l’élection présidentielle, de la sacrer championne du vote ouvrier ou de relayer quelque classement du Time lui offrant le 71ème rang mondial des personnalités les plus influentes.

La liberté, toutefois, c’est quelque chose qui s’apprend. Or « l’apprentissage de la liberté se fait dès l’école ». Et Marine le Pen de se lancer dans une diatribe inattendue contre « les théories dramatiques colportées par les pédagogistes issus de 68 ». On admettra que la promotion de l’école de Condorcet et de Jules Ferry manquait au logiciel mariniste. Il convenait de rajouter d’urgence cette nouvelle strate  pour décrocher son brevet de « national-républicanisme ». Car tout n’est pas qu’économie, et crier haro sur l’ultralibéralisme, sur Maastricht et sur l’Euro ne fait pas un programme. Il ne suffisait donc pas de s’approprier Emmanuel Todd et Jacques Sapir : voilà Natacha Polony embarquée nolens volens sur le paquebot.

Il ne manque à Marine le Pen, pour parfaire sa panoplie de parfaite républicaine, qu’à débusquer un bon spécialiste de relations internationales. Pour bien faire, il faudrait qu’il prône une coopération renforcée avec la Russie pour contrebalancer la « Chinamérique », une politique de co-développement euro-Méditerranée, qu’il ait vigoureusement condamné la seconde guerre du Golfe, mais pourquoi pas la première également, et bien sûr qu’il se soit prononcé contre la réintégration de la France dans le commandement intégré de l’OTAN.  

En principe, à la prochaine grand-messe frontiste, nous devrions avoir le nom de l’heureux géopoliticien choisi, et partant, une liste quasi exhaustive des intellectuels qui, même sans le faire exprès, permettent à quiconque s’en inspire de s'élever en toute liberté dans les sondages. Avis aux amateurs.