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lundi 25 mars 2013

Mélenchon / Moscovici : quelles conclusions tirer de la "guerre des gauches" ?





Il s’est passé deux choses fort regrettables pendant et à la suite au congrès de Parti de gauche qui s’est tenu ce week-end-end à Bordeaux :

  • d’une part, Jean-Luc Mélenchon est à nouveau sorti de ses gonds, éreintant le Parti socialiste en des termes si virulents qu’en dépit du bien fondé de nombre de ses arguments, notamment quant à la pente libérale prise par la politique économique du gouvernement, on en vient à ne plus désirer qu’une chose : qu’il se taise,
  • d’autre part, ses propos ont été amplifiés et déformés, de sorte qu’une accusation d’antisémitisme s’est abattue sur lui, en dépit de tout bon sens.

Que s’est-il vraiment passé ?

Après que son bras droit, le souvent mal inspiré François Delapierre, eut rangé Pierre Moscovici parmi les « 17 salopards de l’Europe et de l’Europgroupe », Mélenchon a cru bon d’en rajouter en affirmant ceci : « Moscovici a signé tout ce qu’il a pu à Bruxelles. Les accords de la troïka, la nappe, et même la notice du rasoir de Baroso. Il s’est pris pour un intelligent qui a fait l’ENA. C’est un comportement irresponsable de quelqu’un qui ne pense pas en français, mais dans la langue de la finance internationale ».

Coup de tonnerre dans le microcosme. L’AFP, qui semble s’être récemment lancée dans une collection de maladresses et d’imprécisions, déforme d’abord les propos du leader du Front de gauche. Selon elle, Mélenchon aurait qualifié Moscovici de « ministre qui ne pense pas français, qui pense finance internationale ».

Dans la foulée, n’écoutant que sa tendance à voir des fascistes partout, le journaliste Jean Quatremer twitte ceci : « Mélenchon n’est ni un ignorant ni un crétin. Dire que Mosco « ne pense pas français » c’est le sifflet à ultra-sons antisémite ». Et tout le Landerneau de suivre, criant haro sur le « facho ».

Antisémitisme ?

D’abord, que l’accusation d’antisémitisme est absurde. A moins qu’elle ne relève d’une parfaite mauvaise foi, pour trois raisons :
  • d’une part, comme l’explique le journal Politis, les propos que l’on a prêtés un peu vite à Mélenchon ne sont pas ceux qu’il a vraiment prononcés,
  • d’autre part, celui-ci s’est défendu d’avoir eu connaissance de « la religion » de Pierre Moscovici, et on le croit bien volontiers. Des tas de gens ignoraient jusqu’alors que le ministre fut juif. Et pour une bonne raison : des tas de gens s’en fichent éperdument. Par chance, peu nombreux sont ceux qui passent leur temps à vérifier qui est juif et qui ne l’est pas,
  • enfin, il est étonnant que les adversaires de Mélenchon aient immédiatement associé « penser finance internationale » à « Juif ». Il n’y aurait donc qu’un Juif pour « penser finance » ? Ceux qui font mécaniquement l’association devraient peut-être commencer par s’interroger sur eux-mêmes. Car Mélenchon, lui, voulait dire que Moscovici est libéral – ce qui est vrai.

Les vraies bonnes raisons d’être quand même consterné.

On est malgré tout consterné :
  • Parce qu’encore une fois, les militants de « l’empire du Bien » ont raté une occasion de se taire,
  • Parce que cette gauche qui voit des « antisémites », des « racistes » et des « réacs » partout, et qui, vêtue de fausse probité candide et de lin plus très blanc, s’indigne à longueur de colonnes de Libération ou des Inrockuptibles, est insupportable. Sûre de sa supériorité morale, traquant sans relâche la « bête immonde », elle ne parvient plus à dissimuler que les techniques d’intimidation qu’elle utilise, dont la « fascisation » de l’adversaire à tout propos, ne lui servent qu’à occulter un débat, notamment sur les questions économiques et sociales, qu’elle est désormais sûre de perdre,
  • Parce qu’à défaut d’être antisémite, on peut malgré tout reprocher à Mélenchon son emportement, sans cesse croissant, et qui le rend définitivement inaudible, au point qu’il ne peut plus être considéré comme une alternative possible à la gauche libérale,
  • Parce que la « gauche de la gauche », qui prétend elle aussi, désormais, être l’unique détentrice de la Décence et de la Vérité, a recréé un « empire du Bien » à sa mesure. Elle le défend contre « les sociaux-traitres », contre leurs « forfaitures » et leur « scélératesse ». Elle jette des anathèmes à son tour, selon les mêmes règles pavloviennes, au détriment, encore une fois, de tout débat de fond sur la politique économique actuellement poursuivie,
  • Parce qu’on a désespérément envie de renvoyer dos toutes ces belles âmes offusquées, et parce qu’on est bien en peine de choisir entre les « vertueux première mouture », désireux de purger la France du pétainisme rampant, et les « vertueux deuxième version », soucieux d’éradiquer les ennemis de classe.
  • Et parce qu’on finit par se demander, à force d’âneries, si l’on trouvera encore la force d’aller voter, la prochaine fois…

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jeudi 21 mars 2013

Michéa ou le socialisme contre la gauche



Il faut lire le dernier Michéa. Ne serait-ce que parce que le philosophe a le vent en poupe. On l’entend et le lit partout, de Marianne à France Inter en passant par l’Huma. Et pour cause : Jean-Claude Michéa est l’un des critiques les plus offensifs, mais peut-être aussi le plus cohérent et le plus exhaustif du système libéral.

Son idée phare, qu’il développe livre après livre, est la suivante : les termes de « droite et de « gauche » sont obsolètes, car la droite et la gauche « de gouvernement » sont devenues les deux faces d’une même médaille libérale. La droite réactionnaire et la gauche révolutionnaire ont aujourd’hui disparu. La droite moderne, qui doit bien plus à Milton Friedman qu’à Charles Maurras, est entièrement convertie au libéralisme économique, et ne feint de tenir aux « traditions » que pour satisfaire un électorat sensible à la « défense des valeurs ». Dès lors, cette droite délègue habillement à son double, la gauche libérale, le soin de développer le volet politique et culturel du libéralisme. Autrement dit d’accroitre toujours plus les droits et libertés individuels, de manière à garantir une atomisation des individus suffisante pour les maintenir à de l’état de simples consommateurs, uniquement soucieux de « jouir sans entrave ».
Dans Les Mystères de la gauche1, l’auteur tire de ce constat une conséquence logique : pour espérer sortir du capitalisme, il faut en finir avec la gauche. Pour lui, « ce signifiant devient très vite ambigu – et peut-être même inutilement diviseur - à partir du moment où il s’agit de mobiliser l’immense majorité des classes populaires ». Le mot « gauche » étant galvaudé, il faut le congédier pour renouer avec le « socialisme originel ».

Il convient de lever toute ambigüité. Chez Michéa, l’appel à rompre avec « la gauche » et à remiser le clivage gauche/droite tel qu’il existe depuis l’affaire Dreyfus, n’est pas, loin s’en faut, un acquiescement au « ni droite, ni gauche » ou aux mantras « anti-UMPS » du Front national. Jean-Claude Michéa est parfois jugé « inclassable ». Certes, il se qualifie lui-même « d’anarchiste conservateur ». Mais il serait un peu court d’évacuer l’anarchisme pour ne retenir que le seul conservatisme

Il y a, chez l’auteur, une volonté constante de préserver - de conserver  - un certain nombre de valeurs qu’il estime chères au cœur des « gens ordinaires » Mais il s’agit là de vertus plus que de traditions strito sensu. Or, à ceux qui veulent sans cesse faire table rase du passé, on peut aisément objecter que la civilité, la décence, le sens des limites et la conscience morale méritent quant à elles, nonobstant l’addiction contemporaine au « bougisme », d’être précieusement conservées.

Finalement, lorsque Jean-Claude Michéa fait l’éloge des « coutûmes », il ne s’agit en rien d’une apologie du chauvinisme frileux de l’extrême-droite. A l’inverse, son invitation à tenir compte de « fait communautaire » n’est pas une validation de ce communautarisme qui séduit tant l’extrême-gauche. Ce qu’il met en exergue, c’est l’importance du commun, de ce qui lie les hommes, davantage que les « communautés » - même si le terme est employé à plusieurs reprises, comme en écho à la Gemeinwesen de Marx. D’ailleurs, Michéa ne nie pas que les communautés puissent être oppressives. Pas plus qu’il ne réfute les bénéfices de l’émancipation individuelle. Au contraire, il appelle à réfléchir sur les « conditions réelles de la plus grande autonomie individuelle possible sans que jamais pour autant la façon dont la liberté se trouverait ainsi introduite ne conduise à saper les fondements mêmes du lien social »

C’est sans doute l’une des difficultés du discours socialiste. De même qu’il est difficile de faire comprendre que l’internationalisme, à l’inverse de la mondialisation, ne suppose pas l’effacement des nations mais au contraire leur existence, il est ardu d’articuler l’idée de « liberté individuelle » avec la nécessaire préservation d’une existence collective. C’est un projet ambitieux que d’espérer abolir « les seuls liens sociaux fondés sur l’exploitation et la domination », tout en préservant le lien social lui-même, et les conditions de la solidarité.

Quant à la critique de la gauche libérale formulée par Michéa, elle surprend par sa justesse. On pourrait la compléter en y adjoignant cette charge contre « la réforme et la révolution » menée ici par le journaliste Eric Dupin : « la révolution a été mortellement touchée par le drame du communisme réel. Le schéma d’un changement brutal et violent évoque désormais trop le spectre du totalitarisme ». Dans le même temps, « la social-démocratie n’a plus grand sens dans un contexte de mondialisation qui rend obsolète les compromis sociaux naguère forgés dans un cadre national ». La gauche, il faut bien l’admettre, a pêché par excès d’agitation comme par excès d’immobilisme.

Ce qui n’empêche pas les hommes de gauche de se présenter encore et toujours comme les seuls héritiers légitimes du « Progrès ». Or, comme Christopher Lasch avant lui, Michéa s’attache à débusquer les pièges de « la mystique du Progrès », appréhendée sous l’angle de la philosophie politique2 et comme étant une idéologie à part entière. Pour autant, Michéa ne renonce pas, loin s’en faut, à une critique d’ordre technologique et écologique, déplorant, à la manière des adeptes de la décroissance, le culte de l’accumulation illimitée, le triomphe de la société marchande et regrettant même la « fascination de Marx pour les aspects supposés émancipateurs de la grande industrie ».

Cela ne va pas sans soulever quelques questions. On ne peut évidemment nier les invraisemblables excès du capitalisme. Mais on peut s’interroger : rejeter la notion de croissance au motif qu’elle serait « le prête-nom médiatique de l’accumulation illimitée du capital » est-il recevable dans une situation de crise généralisée où, notamment en Europe, nombre de difficultés semblent venir non de l’excès de croissance mais de son atonie ? Peut-on encore se désoler du développement de « la grande industrie » dans un contexte où c’est la désindustrialisation massive et sans solution substitutive qui pose avant tout problème ? Suffira-t-il à des individus privés d’emplois - notamment industriels - de renoncer à acheter des Smartphones et d’expérimenter, au niveau local des « manières de vivre alternatives » pour échapper à la misère ?

Enfin, la croissance est-elle vouée à demeurer une simple accumulation du capital ? N’y a-t-il pas lieu, plutôt que de rejeter toute idée de croissance, d’imaginer une autre répartition de la richesse créée entre le capital et le travail. Bref, ne faut-il pas modifier la clé de répartition des fruits de la croissance plutôt que de renoncer à celle-ci ?

Il semble que Michéa ait choisi de décrire le capitalisme comme un mode de vie, davantage que comme le produit des rapports de force au sein du processus économique. De sorte qu’il est malaisé d’imaginer quel type de réponse économique pourrait être donné à son analyse philosophique. C’est donc peut-être bien sur ce terrain là, désormais, qu’il nous reste à inventer.

1 Climats, mars 2013
2 voir Christopher Lasch, Le seul et vrai paradis.

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Je suis antilibérale et favorable à la décroissance, entretien avec Natacha Polony  CLACK
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vendredi 15 mars 2013

Libération de la parole eurosceptique: et voici Jean Quatremer




Bon, j’avoue : j’y vais un peu fort. Jean Quatremer n’est pas eurosceptique. C’est même tout le contraire. Le spécialiste des affaires bruxelloises du quotidien Libération est euro-content. Au point que, lorsque son contentement s’affaisse sous les coups de boutoir d’une réalité très très méchante, il nous explique qu’il ne déplore pas le « trop d’Europe », mais, au contraire, le manque d’Europe. Bref, quand Quatremer doute de l’Europe, il en réclame une louche supplémentaire. Masochisme ?

Car Jean Quatremer doute, figurez-vous. Comme il l’explique dans un texte du 14 mars, date anniversaire de la mort de Karl Marx – ce qui ne saurait être un hasard.

Jean Quatremer doute, comme nombre de gardiens du temple eurolibéral avant lui. Je l’ai relevé plusieurs fois sur ce blog. Effondrement des économies d’Europe du Sud, tempête politique en Grèce puis en Italie, alerte rouge sur Chypre qui attend elle aussi son plan de sauvetage, les euro-satisfaits sont inquiets. « Par la barbe du grand Merdalor, où nous sommes-nous trompés ? » semblent-t-ils dire à l’unisson – car l’unisson, c’est leur dada.

Ce fut d’abord François Lenglet, grand spécialiste de l’envoi de messages subliminaux propres à démonter ses propres théories. Ici, il se désolait de l’incapacité française à procéder à une bonne vieille dévaluation compétitive pour cause de monnaie unique : « ce qui explique l'incapacité de la France à retrouver la croissance, c'est son incapacité à retrouver sa compétitivité (…) du temps du franc, notre ancienne monnaie, tout cela se réglait avec une dévaluation. C'était évidemment un choc de compétitivité qui permettait de baisser ses prix ». Décoiffant, François Lenglet - à défaut d’être décoiffé.

Ce fut ensuite Arnaud Leparmentier, dans Le Monde, journal « ouiste » entre tous. Dans un édito intitulé « rêve allemand, cauchemar européen », l’homme s’interrogeait : « fallait-il signer ce traité de Maastricht, qui tourne au désastre ? Après l'avoir tant défendu, on finirait par en douter ». Bigre ! Vingt ans après, il était temps ! Que nous sortira-t-on ensuite ? Que la révocation de l’Edit de Nantes, c’était pas une bonne idée ?

Vient à présent Jean Quatremer, à la fois très soucieux des politiques d’austérité menées en Europe et du caractère peu démocratique des institutions de l’Union. « Après trois ans de crise de la zone euro, tout le monde s’est habitué à ce que des décisions de politique économique, financière et budgétaire, qui intéressent pourtant directement plus de 500 millions de personnes, soient prises dans la plus parfaite opacité et sans aucun contrôle démocratique » se désole le journaliste. Puis d’ajouter : « au final, cet ensemble de textes1 a abouti à priver les démocraties nationales de tout pouvoir sur les politiques décidées par la Commission et les gouvernements à Bruxelles ». Ah boooon ? Mais quelle surpriiiiise !

Certes, lorsque Quatremer cite longuement Daniel Cohn-Bendit, demeuré Dany le rouge pour la seule Guilde des daltoniens coalisés, ou Sylvie Goulard, eurodéputée Modem et co-auteur d’un livre avec Mario Monti, on se doute bien qu’il n’est pas encore tout à fait sur le prêt à prendre le maquis.

Néanmoins, l’expression d’inquiétudes, d’interrogations, de doutes de la part de journalistes qu’on peut difficilement soupçonner d’être des « souverainistes » recroquevillés sur de vieux « égoïsmes nationaux », témoigne d’un sensible dégel2 du débat sur l’Europe.

Ça, l’arrivée du printemps et la sortie prochaine du bouquin d’Anne Hidalgo sont quand même les trois meilleures nouvelles de ce mois de mars. 

1 Il parle ici du TSCG, du Six pack et du Two pack. 
2 Mince, des ours blancs vont encore mourir. 

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J'ai lu un édito eurosceptique dans Le Monde  CLONCK 
  

lundi 11 mars 2013

Pourquoi les Femen françaises sont-elles déjà démodées ?



Décidément, on parle beaucoup du mouvement Femen. Diffusion, sur France 2, de « Nos seins, nos armes », le reportage hagiographique de Caroline Fourest et Nadia El Fani, sortie du livre écrit avec Galia Ackerman : ce début mars semble s’y prêter.

Pourtant, si les « sextrémistes » venues de l’Est intéressent depuis quelques temps et si leur audace, décoiffante dans un pays comme l’Ukraine, peut susciter quelque respect, leurs homologues françaises, pour leur part, n’ont réussi à émerger dans le débat public qu’en une seule occasion : leur happening raté à la cathédrale Notre-Dame. Décidée juste après que le pape Benoist XVI eût annoncé sa démission, cette action incompréhensible, qui semblait n’avoir pour objet que de célébrer le renoncement d’un très vieil homme sentant venir la fin, a surtout suscité de la réprobation.

Tout a été dit, ou presque, sur la différence de contexte entre la France et l’Ukraine : République laïque ici, régime autoritaire lié à l’Église orthodoxe là-bas. Bruno Roger-Petit l’explique dans ce texte. Pour lui, les Femen n’ont « rien à faire en France ». On est tenté d’approuver et de ne pas insister davantage puisque tout le monde en convient : la situation des femmes n’est pas la même à Paris, à Kiev, au Caire ou à Kaboul. L’idée d’une « internationale féministe » apparaît donc farfelue.

On peut en revanche relever cette étrangeté : c’est au moment précis où les Femen parisiennes parvenaient à défrayer la chronique qu’elles torpillaient, dans le même temps, l’intégralité de leur capital sympathie.

Avant de faire irruption à Notre-Dame, elles avaient certes tenté une façon plus consensuelle d’attirer à elles les caméras, en se heurtant aux militants de Civitas lors des manifestations contre le « mariage pour tous ». En allant houspiller « des fachos », on risque certes de ramasser quelques coups, mais le bilan coûts/avantages de ce type d’opérations reste en général positif. Hélas, pas cette fois. Les Femen ont eu les coups, pas la reconnaissance. Car tout le monde avait compris dès le début ce qu’était Civitas : un groupuscule folklorique sans conséquence, une sorte de négatif photographique de l’outrance des Femen elles-mêmes. Bref, une expression, tout comme elles, de la banalisation et de l’omniprésence de ce que Mikhaïl Bakhtine appelait les « événements de carnaval ».

Après cet échec, donc, cap sur Notre-Dame. Pourquoi ? Sur France Culture, Brice Couturier donne un début d’explication, notamment lorsqu’il il s’interroge : « couronnes de fleurs et seins nus, à force de jouer avec les poncifs de l’éternel féminin, avec les mythologies croisées de la vierge slave de village et de la gogo girl [les Femen] servent-elles vraiment la cause des femmes ou plutôt celle de la société du spectacle ? ».

C’est une bonne question. Et, si l’on admet que la bonne réponse est « la société du spectacle », les choses s’éclairent en partie. Car cette société du spectacle a ses exigences. N’y devient pas vedette qui veut. Pour émerger, encore faut-il parvenir à créer une couche supplémentaire de buzz par-dessus le buzz préexistant, à ajouter du bruit au bruit et du scandale au scandale. L’espace étant saturé d’images, il faut en créer de plus originales, de plus frappantes, de plus imaginatives pour parvenir à se tailler une part de « l’attention du public », ce bien devenu si rare.

Le « féminisme nunuche » de groupes comme La Barbe ou Osez le féminisme y était arrivé en son temps, créant la surprise par le truchement d’actions incongrues comme « Osez le clitoris ». Ces associations sont aujourd’hui dépassées et le pressentent. De fait, les modes d'action des Femen ne font pas l'unanimité dans leurs rangs. Elles sont désormais coiffées au poteau par un « féminisme trash » plus habile dans l’art de la mise en scène, plus inventif, plus culotté. Un article très bien informé du Monde explique d'ailleurs combien est grande l'attention portée par les Femen à la production et la diffusion d'images1.

Tout porte pourtant à croire que l’aventure médiatique des sextrémistes aux seins nus – en tout cas de leur branche française – touche déjà à sa fin. A Notre-Dame, l’outrance a payé, et les micros se sont tendus. Mais pour parvenir à ce résultat, les militantes ont été contraintes d’aller trop loin. Elles n’ont pas seulement choqué, ce qui était leur but. Elles ont aussi déplu. Pire, elles ont lassé… déjà. D’ailleurs le groupe connaît des tensions et des défections, notamment parmi les recrues issues des Insoumises, comme l’explique encore Le Monde.

Les Femen sont parfaitement adaptées à la société du spectacle: elles ne conçoivent pas de doctrine, elles n’élaborent pas de plan : elles produisent du show et des produits dérivés. Elles en sont récompensées. Mais cela ne peut durer qu’une seconde. Car, comme le dit George Steiner, pour gagner à ce jeu-là, tout doit être calculé pour avoir « un impact maximal et une obsolescence instantanée ».

L’impact maximal a été atteint. Vient maintenant l’obsolescence.

1 Et accessoirement la manière dont elles se financent...
 
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